Le Lynx endormi

Lynx boréal endormi

Dentelles du givre
Pinceaux du lynx endormi
Délicatesse du bonheur

Jura, mars 2013

***

À moins de 20 mètres de moi dort un lynx. Debout dans la neige, je tremble d’émotion, de surprise. Je n’ose pas me mettre à couvert de peur de le réveiller. Tout juste lever à nouveau mes jumelles pour distinguer chaque détail de cette scène, pour m’assurer que je ne rêve pas.

Il est si beau. Je suis subjugué. D’abord par son dos à l’épaisse fourrure, avec ses taches sur fond roux presque jaune paille, en harmonie avec l’herbe où il s’est couché. Puis par ses paupières ourlées de noir, paisiblement fermées. Et sa tête ronde, digne.

Quelques volutes de brumes passent entre lui et moi, comme pour rappeler que le temps s’écoule, que cet instant est réel. Je m’imprègne en pleine conscience de ces minutes. C’est l’aboutissement de beaucoup de patience, et d’un rêve qui pourrait ne pas se réaliser une nouvelle fois avant plusieurs années. Dans la lumière blanche de ce midi, je vois ce lynx avec une netteté qui me transperce. Je peux presque respirer avec lui.

Comme vivant une étreinte qu’on ne veut pas oublier.

Un bruit de trop de ma part ? Le pressentiment de ma présence ? Il ouvre soudain les yeux. Je suis happé par son regard de cuivre. Ses fines pupilles me regardent fixement, avec une intensité silencieuse qui me donne envie de lui parler. Nous restons là, face à face, les yeux dans les yeux, pendant peut-être une dernière minute. Je me demande même s’il ne va pas simplement se rendormir tant il est calme, et que je n’oserai alors même pas revenir sur mes pas.

Mais il se lève soudain et en deux bonds disparaît derrière un épicéa. La dernière image qu’il laisse est ses deux pinceaux noirs se découpant sur toile de brouillard.

J’avance à la recherche de quelques indices, pour me faire une idée plus précise de la bête. En bondissant, elle a laissé des traces bien nettes, où on distingue ses griffes. L’empreinte n’est pas très grande, ce lynx était sans doute une femelle. Elle dormait là où se reposent d’habitude quelques chamois, comme en témoignent les crottes amassées dans l’herbe. J’aime cette idée que prédateur et proies font parfois la sieste aux mêmes endroits.

Je redescends vers la plaine en souriant, tellement empli de l’énergie de cette rencontre, de ce présent offert par la nature. Au-delà de la chance qui m’a souri aujourd’hui, je suis touché de ces connexions fortes, presque mystiques, qu’il est donné de vivre. De celles qui m’ont poussé à aller dormir dans la neige ce jour-là. Reconnaissant des heures passées dehors, encore et encore.

Je récupère mon sac et mon matériel de bivouac. Plus tard cette même journée, nous remonterons tenter notre chance avec deux amis, mais les cadeaux qui nous attendent seront différents: un aigle et un lever de lune. Royaux. Comme toute cette journée.

***

La photo est la moins floue que j’aie réussi à prendre dans la fébrilité de l’instant avec mon piètre matériel (mais mes yeux et mes jumelles sont bons, ouf !)…

Cette note conclut une quête racontée par ces premiers indices et d’autres, plus sérieux. D’autres haïkus de lynx sont prêts, ils arriveront sur ce blog ce printemps.

15 replies »

  1. Peu importe la photo, la rencontre demeure exceptionnelle et la nature vous a offert un somptueux cadeau. Un superbe récit et un rêve pour beaucoup de croiser le lynx.

  2. On vit l’instant avec vous ! C’est un magnifique texte. J’adore les animaux, vous avez beaucoup de chance d’avoir vu un lynx.

  3. OUAHOU !!!!!! quelle rencontre magnifique, en effet tu devais être tout….
    un instant magique, peut être t’attendait-il…., et superbement raconté par ta poésie
    Continue à nous « transporter » à travers ta poésie et tes haïku(s)
    Muriel

  4. Excellent! Je rêve de rencontrer un Lynx aussi.. Quelle chance!
    Et merci pour ce beau récit, j’ai imaginé le moment, ça ma beaucoup touché.

  5. Ouah ! Quelle magie ! Il m’est arrivé une émotion similaire à mes débuts quand je me suis retrouvée nez à nez (je n’exagère pas !) avec un jeune chevreuil, mais j’étais tellement dans la magie que je n’ai même pas essayé de prendre une photo. Cette photo même floue, est là pour soutenir le texte, on imagine très bien en la regardant l’émotion intense et exceptionnelle que vous avez vécue. De la chance, oui, mais aussi du mérite. Bonne continuation.

  6. ça y est !!! Merci pour l’émotion partagée !! Je t’embrasse Roudoudou ! Sylvie

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  7. Très beau texte !! On s’y croyait être à tes côtés. Merci l’ami. Je te souhaite de bien belles observations encore et encore.

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